Publié le
21 juillet 2022
Analyse, critique ou billet de blog de l'auteur
En partenariat avec l’OFQJ (Office Franco-Québécois pour la Jeunesse) et le Festival du nouveau cinéma de Montréal

Le Festival La Rochelle Cinéma et le Festival du nouveau cinéma de Montréal organisaient un concours de critique autour des films québécois programmés durant la 50e édition du Fema, pour gagner une invitation au 51e Festival du nouveau cinéma de Montréal, dont le jury était composé de Pierre Audebert et de Pascale Cosse.

Nicolas Dargelos-Descoubez remporte le 1er prix.

"Un visage. Un autre visage. Encore un visage, seul, isolé. C’est ce que montrent les premières minutes d’Un été comme ça, un groupe qui ne fait pas communauté, une coprésence sans échange entre ces trois patientes et leurs deux accompagnants. Refusant le champ contre-champ et prenant garde à toujours nous montrer chaque personnage absolument seul dans chaque plan, Denis Côté met brillamment en scène les limites de la communication orale et nous pose la question : comment parler aux autres quand on a déjà du mal à se parler à soi-même ?

Les trois femmes que l’on suit durant cette retraite se sont chacune construite une solide barrière verbale autour de leurs pratiques sexuelles considérées comme déviantes et nocives pour leur santé mentale et physique. Jouant de descriptions crues et n’hésitant pas inonder leurs interlocuteurs de détails salaces sur leurs fantasmes, ces trois patientes persuadent les autres autant qu’elles se persuadent elles-mêmes que ces pratiques sont le résultat de leur volonté, de leur propre plaisir à elles, et qu’elles sont en paix avec celles-ci. Toutefois, au fil du récit, le malaise profond de ces jeunes femmes refait discrètement surface, au-delà des mots. Alors qu’elle ne semble pouvoir s’exprimer que par des mots crus empêchant tout échange serein avec Sami ou Octavia, c’est au son des Arabesques de Debussy qu’Eugénie réalise de puissants dessins qui extériorisent calmement la violence de ses pulsions. De même, ce n’est qu’en jouant du piano, ou enveloppée par la musique que met Sami que Léonie parvient à revenir de manière apaisée sur la violence de son passé et des expériences sexuelles qu’elle a pu subir. Enfin, Geisha ne semble parvenir à se retrouver et à se canaliser que dans des moments apparemment insignifiants mais remplis d’un bonheur pur au sens épicurien, comme une balade en barque ou des conseils sur le pelage d’un kiwi, l’éloignant de sa soumission à ses pulsions pour la rapprocher d’une forme d’ataraxie.

Ce que Denis Côté nous montre finalement c’est une libération de ces femmes par-delà la parole. Loin de montrer une transformation de ces personnages (ce qui ne serait pas souhaitable puisque, comme le rappelle régulièrement Geisha, elles aiment le sexe et puis c’est tout), il s’agit de montrer comment reconstruire la communication avec les autres permet in fine de parler avec son soi profond, et de découvrir pour ces femmes qu’elles sont bien plus que le « j’aime le cul donc je suis » que leurs expériences traumatiques passées leur ont fait intérioriser.

Le réalisateur joue durant le film de la dissonance entre des scènes très apaisées filmées par une caméra fixe et bercées par Debussy, et des séquences violentes et dérangeantes pour le spectateur, seulement rythmées par des cris de plaisir plus ou moins associés à une forme de douleur, et des allusions provocatrices. Toutefois, à la fin, la paix est retrouvée alors que les trois patientes retrouvent leur vrai visage une fois leur masque (symbolisé par un masque pour la peau) tombé. Tout le monde ne sort pas pleinement gagnant de cette retraite, Octavia, Diane et Sami étant montrés isolés une fois les patientes parties, comme si elles étaient le seul lien entre eux. Pourtant, le temps d’une photo, on voit des visages. Des visages unis et souriants. Des visages d’une famille nouvelle investissant ses membres d’une force nouvelle, leur force à elles, désormais prêtes à sauter ensemble dans le grand lac qui leur fait face."

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